2008/06/03

Séga Sidibé | un personnage hors du temps

Né dans les années 40 à Fougama dans le Wassoulou (Wasulun), une région du Mali, Séga Sidibé a grandi et appris la musique dans sa région jusqu’à l'âge de vingt ans, avant de s'installer à Bamako.


De 1965 à 1977, Séga, en tant que premier soliste de la Troupe régionale de Bamako, est chargé de parcourir le pays à la recherche de rythmes et de danses traditionnelles, afin de pouvoir créer des spectacles représentatifs de l’immense diversité culturelle du pays. Il s’acquitte de cette tâche en récoltant les musiques et les danses des différentes ethnies du Mali dans leurs formes traditionnelles qui viendront enrichir les créations de la troupe.

En 1978, cette troupe devient les « Ballets du district de Bamako » et la qualité de ses spectacles lui permet de se produire à l’étranger. Jusqu’en 1990, date à laquelle il prendra sa retraite, Séga va continuer à diriger la section rythmique, créant des spectacles pour les biennales, formant de jeunes artistes qui, pour beaucoup d’entre eux, iront rejoindre par la suite le « Ballet National du Mali ».
Séga connaît donc parfaitement le folklore de son pays avec l’esprit de jouer le djembé traditionnel, comme au village, mais aussi comment le djembé et la danse ont évolué lors des créations des ballets. Garant de la tradition de son pays, il oriente son enseignement dans ce sens.

Actuellement, Séga Sidibé est très certainement le plus vieux Djembéfola encore en activité au Mali. Pour cette interview spéciale, qui coïncide avec sa venue printanière en France, il nous livre quelques expériences passées et sa vision actuelle. Son regard multiple ; de musicien, de professeur et de voyageur ; est à la fois réaliste et emprunt de sagesse, d'humilité.

Comment en es-tu venu à jouer du djembé et est-ce que tu es fils de djembefola ?

Séga Sidibé : A mon époque, lorsque j’étais enfant, nous n'avions rien pour écouter la musique, ni de télé et même pas de magnétophone. Mon père était militaire et ne pratiquait pas le tambour. On commençait à faire de la musique avec des instruments de notre quotidien et au milieu il y avait le djembé ! C'est comme ça que j'ai commencé et choisi le djembé !

Qu'est ce que tu penses de la manière d’apprendre le djembé en dehors de l'Afrique ?

Séga Sidibé : La vie même c'est l'évolution. Le djembé continue à évoluer et plein de choses dans la vie du tambour djembé vient de ce qu’en font les « toubabs » (surnom des occidentaux).

Par exemple, pour moi, le Ballet ce n’est pas africain. C'est une invention « toubab » ! Les ballets ont fait changer la direction première du djembé. La vie de ce tambour dans son lieu de naissance n’est pas la même que cette image qui lui est donnée aujourd’hui. Mais heureusement, de nombreux « toubabs » essayent de connaître la tradition, l’origine et le contexte de l’instrument dans sa culture.

Qu'est ce que tu penses de la manière dont les jeunes africains appréhendent le djembé en Afrique de l'Ouest ?

Séga Sidibé : Je pense que les jeunes s'intéressent moins à la tradition que les « toubab » qui viennent apprendre ici. Ils demandent plus de choses sur la tradition, sur les rythmes et les histoires liés à leur pratique. Les jeunes artistes africains font évoluer le djembé autrement. Ils ont laissé petit à petit le jeu traditionnel du djembé et on ne sait pas si le djembé va continuer à être africain ! (rire)

Qu'est ce que tu retiens de ta participation au Ballet du district de Bamako ?

Séga Sidibé : L'avantage dans cette collaboration, c'est que je ne faisais pas que de jouer le djembé ! A Bamako, je suis également reconnu comme metteur en scène. En Europe c’est uniquement par le djembé que je suis reconnu par les amateurs de musiques africaines.

J'ai formé beaucoup de musiciens à Bamako et ce n'est pas la peine de citer de nom. Ceux qui se sont formés auprès de moi le savent ! Les « toubabs » ne savent pas, mais les maliens le savent ! (rire)

Quel style de musique écoutes-tu en particulier ?

Séga Sidibé : Toutes les musiques m’intéressent ! Mais celles qui sont basées sur le rythme m’intriguent plus. Pour moi, s'il n'y a pas de rythme, il n'y a pas de base. S'il y a un rythme, il y aura forcément une correspondance avec le djembé, c'est clair ! Même pas besoin de chercher plus loin à mon sens ! Même dans les musiques arabes, il a une correspondance avec les rythmes du djembé ! Tout est transposable !

Pour quelle raison « Wasulun Fenkerow » est ton seul enregistrement bien diffusé ?

Séga Sidibé : Le disque peut te faire connaître, peut être, mais dans le djembé c'est difficile. Il y en a qui ont fait quatre ou cinq albums, mais à part le premier, lorsque tu écoutes de manière approfondie, tu as l'impression que tu l’as déjà écouté ! Le problème du CD dans mon pays, c’est qu’il faut de nombreux moyens matériels et financiers. Ce n’est pas simple.

Enfin, d'où te vient ce sourire indécollable quand tu joues ?

Séga Sidibé : Beaucoup de djembefola, lorsqu’ils jouent, sont dans un état de lutte et c'est la catastrophe pour ce qui est de leu énergie dégagée envers le public. Pour moi, le djembé c'est un instrument comme les autres instruments ! Même si c'est un peu difficile, même s'il y a la force physique qui rentre en jeu, c'est un amusement ! Si c'est pour faire pleurer les gens ce n’est pas la peine !


Interview : © Jimmy Braun / Cyril Piquet / Christophe Gallego – Avril 2007Photo : Séga Sidibé / © Audrey Guerrini (Tous droits réservés. Reproduction interdite) - Collectif emulsion

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